jeudi 26 février 2015

La mort d’un commerce de village à Hangest-en-Santerre

Christophe et Pauline pensaient en s’installant que les habitants voudraient de « l’artisanal et des produits de qualité ». Mais les baguettes congelées ont gagné.



Ils n’ont pas été aidés, ils ont été laminés.  » Après la fermeture de la boulangerie d’Hangest-en-Santerre, le 30 janvier, les langues se délient. Au plaisir du pain avait ouvert en septembre 2014, porté par Pauline Rousseau et Christophe Delattre, tous deux la vingtaine, originaires du secteur.
Les premières semaines se passent bien, les ventes sont correctes malgré la concurrence de deux boulangeries extérieures qui font des tournées dans le village. Fin septembre, le jeune couple enchaîne les déconvenues. Deux événements sans rapport : ils se font braquer par trois hommes, dont un armé d’un fusil de chasse, et subissent l’ouverture d’un Cocci Market. Le braquage n’aura pas de trop lourdes conséquences, Christophe Delattre parvient à faire fuir les voleurs, il écope d’un orteil cassé et de ligaments sectionnés.

L’influence des rumeurs

À l’inverse, la supérette leur causera beaucoup de tort. «  Le fait qu’ils vendent du pain nous a fait perdre au moins 50 % des ventes  », raconte Pauline Rousseau. Un millier d’habitants à Hangest, une moyenne de 80 ventes de pain par jour. Il en aurait fallu au moins 200. «  Beaucoup ont choisi le pain industriel, au lieu de faire fonctionner la boulangerie de leur village.  »
Les boulangers disent ne pas avoir été informés de l’ouverture imminente du Cocci. «  Sinon, nous n’aurions pas tout plaqué pour nous lancer dans cette boulangerie. »
Le couple veut des explications, il s’entretient avec le maire, Jacques Hennebert. La rencontre tourne court. «  Il a quasiment jeté (Pauline) hors de la mairie  », raconte un habitant. L’édile n’apprécie pas trop qu’on lui demande s’il a prévenu les boulangers de l’installation de ce concurrent. «  Le projet existait depuis des années, si leur bailleur ne les a pas mis au courant, ça n’est pas de ma faute. » Mais pour Pauline Rousseau, le maire a une responsabilité dans leur faillite. «  Il ne nous a pas du tout soutenus. » Elle raconte cette commande de la mairie pour des galettes des rois, annulée par téléphone quelques jours avant la date prévue. «  Il y avait des incertitudes sur leur fermeture, nous ne pouvions pas prendre de risques  », répond Jacques Hennebert. Le sujet l’ennuie visiblement. Il parle «  d’interrogatoire  », puis déclare : «  Je n’ai plus de réponses à vous donner.  »
Les incertitudes, les rumeurs. Qui ont causé du tort au couple. «  Il se racontait que nous allions fermer. Ensuite, que le pain était insalubre. Puis que nous cherchions un nouveau boulanger  », énumère Pauline Rousseau. S’ils pensent la fin proche, les clients changent de crémerie.
Les rumeurs touchent aussi les autres commerçants. Le boucher, Augustin Crampon, tient à préciser : «  Il se raconte que la boucherie va fermer, mais non. Écrivez-le, nous n’avons aucune intention d’arrêter !  » Les boulangers, eux, ont bel et bien stoppé. Ce n’était plus tenable, les caisses étaient trop vides. Ils ont mis un mot sur la porte. Ils y remercient ceux qui les ont aidés et dénoncent un manque de solidarité. Christophe Delattre a repris le chemin du salariat. Pauline Rousseau épluche les factures à payer, amère. «  Nous avions tout mis dans ce projet. » Vont-ils retenter leur chance ailleurs ? «  Ah non, c’est fini. Nous sommes trop dégoûtés. Nous avons pris en pleine tête l’hypocrisie de certains.  »

Marion Bertemes

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire